#Service Civique #1 | Jeunes architectes & urbanistes dans les quartiers

Par Le 17/03/2018

Une jeune, toute jeune expérience au service de l'intérêt général, de la ville, des habitants, de l'évolution des politiques, des pratiques... Tant dans leur lien au territoire qu'au tissu associatif, les services civiques prennent des initiatives au quotidien pour l'intérêt général. Onze urbanistes, architectes, géographes et pros de l'environnement ont plongé ou replongé dans leur expérience de service civique. Et témoignent pour nous, pour les autres, de leurs quelques mois dans cette aventure menée à la fin de leurs études.

Inaugurons ensemble aujourd'hui le premier numéro [#1] de nos interviews, avec trois témoignages de services civiques autour des politiques urbaines dans les quartiers sensibles. Camélia Ouldammar-Gonzalez, architecte, Marie Pauget, urbaniste, et Mathilde Copin, architecte, parlent avec nous. 

Camélia Ouldammar-Gonzalez

Camélia Ouldammar

Architecte, en service civique au sein de l'association Reflet à Toulouse

(association de développement social dans le quartier de la Reynerie)

Marie Pauget

Marie Pauget

Urbaniste, en service civique pour l'association ACBCL à Villeurbanne

 (association engagée contre l'échec scolaire)

Photo Mathilde Copin

Mathilde Copin

Architecte, en service civique pour Les Compagnons Bâtisseurs Hauts-de-France 

(fédération régionale des Compagnons)

A l'origine, qu'est-ce qui t'a amenée à te lancer dans un service civique ?

Après un an de stage en agence d'archi, je n'ai pas trouvé de travail de suite. J'avais pensé à m'engager au sein d'Architectes Sans Frontières ou d'Architectes de l'Urgence mais il semblait compliqué de s'y faire une place avec peu d'expérience. 

Je me suis donc intéressée au service civique parce que je voulais faire quelque chose dans le social et je me suis dit que ça ne pouvait être qu'une nouvelle expérience en plus. 

En cinquième année d'archi on a été embarqués dans un workshop d'une semaine à la Reynerie [un quartier sensible de Toulouse]. Cette expérience m'a rendue curieuse vis-à-vis de ce quartier qu'il me restait à découvrir davantage et je me suis donc dit que j'allais concentrer mes recherches vers le Mirail [un ensemble de trois quartiers de Toulouse dont la Reynerie fait pleinement partie].

Durant mes études universitaires, j'ai toujours voulu faire un service civique sans jamais trouver le temps. C'était une étape dans mon parcours citoyen par laquelle je souhaitais passer, dans la continuité de mon implication bénévole dans de nombreuses associations.

Une fois mon Master de Géographie et d'Urbanisme en poche (spécialité développement territorial), j'ai commencé à préparer sans trop savoir dans quoi je m'embarquais, les concours de la fonction publique. Je me suis retrouvée à passer tout mon temps à "travailler" à la maison et je n'aimais pas vraiment ce mode de vie. Cela a été le moment idéal pour chercher une mission de terrain à mi-temps pour m'aérer, apprendre et découvrir tout en ayant du temps pour réviser.

Il ne faut pas ignorer aussi que je me retrouvais sans revenu à la fin de cette aventure universitaire et j'ai été bien contente de pouvoir financer ma préparation aux concours.

 

J’ai souhaité m’engager dans un service civique à la fin de mes études en architecture.

Après avoir passé 5 ans la tête dans des études exigeantes et avoir consacré une grande partie de mon temps libre à l’architecture, j’avais besoin de voir autre chose et d’être en contact avec d’autres corps de métiers en lien avec le social. Je voulais être confrontée à d’autres milieux sociaux et participer à des projets concrets au sein d’une association, bref, être en action directe sur le terrain et me sentir vraiment utile tout en gagnant en expérience dans d’autres domaines de compétences.

Au fil de tes recherches, comment en es-tu venue à te lancer dans ce service civique en particulier ?

J'ai regardé régulièrement le site officiel du service civique en remplissant les catégories selon ce qui m'intéressait. Je ne l'ai pas fait en architecture parce que je n'en ai pas déniché au moment venu, mais j'ai finalement trouvé l'annonce pour ce service civique dans une association de quartier sur un site internet pour trouver des "jobs" dans la région.

Autant évoquer ce qui dérange tout de suite, je voulais absolument éviter les missions type vrai poste, mais proposées comme une mission de service civique. Cela a beaucoup été évoqué durant la dernière élection présidentielle, car le service civique cristallise beaucoup dattentes de la société : c'est une solution extraordinaire pour les uns et de l'esclavagisme moderne pour les autres. Il y a un juste-milieu à trouver. Des missions, que personnellement, je juge un peu limites, j'en ai vu beaucoup et puis j'ai fini par tomber sur une annonce différente, sur un territoire assez spécifique : Les Buers.

C'est le dernier quartier au Nord de Villeurbanne avant le périphérique. Autant dire qu'on ne va pas là-bas par hasard pour se promener ! J’ai passé 5 années à l’école régionale de batterie Dante Agostini qui se trouve à quelques rues de lACBCL - l'association où j'ai effectué mon service civique - et le Directeur de l’école, en me parlant du quartier de son enfance, avait éveillé ma curiosité. Lui aussi est géographe et urbaniste de formation et jai toujours aimé, en parallèle de la musique, parler politique et territoire avec lui.

 

Le choix n’a pas toujours été facile. Diplômée d’un master, tout le monde s’attendait à ce que je travaille directement dans un cabinet d’architecture, difficile alors de faire ce pas de côté et de faire comprendre à son entourage que le service civique était un choix. Parfois, certaines personnes pensent que le service civique est réservé aux jeunes en difficulté ayant arrêté leurs études. Mais en réalité pas du tout, il est ouvert à tous les jeunes ayant envie de se rendre acteur d’un projet. Et cette expérience est très formatrice.

Pour trouver mon service civique je suis simplement allée sur la plate-forme officielle du service civique. Au début, je regardais simplement par curiosité, guidée par l’envie de faire autre chose et par l’expérience d’amis qui avaient réalisé un service civique durant leurs études. Puis, rapidement, j’ai trouvé des missions très intéressantes en lien avec l’urbanisme, l’environnement, le logement et le social. Bien sûr, garder un lien avec l’architecture tout en découvrant des filières associées m’a conforté dans mon choix. J’ai alors postulé à différentes offres dont une qui m’intéressait tout particulièrement, celle des compagnons bâtisseurs. J’ai passé un entretien et eu la chance d’être sélectionnée.

 

Ton service civique, en quelques mots ou paragraphes ?

Mon service civique s'est déroulé dans une association de quartier, en bas d'immeuble à la Reynerie. Mes missions concernaient l'accueil du public, le suivi administratif, l'organisation de sorties pour les femmes, des ateliers cuisine au centre social, des sorties familles, l'organisation d'événements dans le quartier comme des vides-greniers, la fête de la musique. 

Cette expérience de service civique m'a permis de travailler dans ce quartier pendant 8 mois et c'est ce que je voulais pour mon approche personnelle des "quartiers" où l'on va très peu, parfois trop peu en tant qu'architectes.

Je séparerais mes missions en deux. Dabord il y avait celles ayant trait à l’éducation. Ensuite, celles plutôt en lien avec ladministration de la structure, les relations avec les partenaires et l'urbanisme. 

Les missions éducatives consistaient en la mise en place d'ateliers thématiques (méthodologie d'apprentis- sage, orientation, éducation à la citoyenneté, autonomisation, goût du savoir) à destination des jeunes.

Je participais aussi au suivi du soutien scolaire d'élèves, du CP à la 1ère. Enfin, jai aidé à organiser des sorties culturelles à destination des enfants et de leurs familles.

Sur ladministration de la structure et les relations avec les partenaires, j'ai participé à coordonner l'action bénévole. J'ai encouragé à ma mesure les partenariats publics et sociaux de lassociation et contribué à l’instruction des dossiers politiques de la ville (demandes de subventions). Jai pu aussi préparer et lancer une démarche de mécénat auprès d'entreprises privées.

Même si cela ne faisait pas directement partie de mes missions, jai pu suivre grâce à un des salariés de lassociation la démarche de réhabilitation du quartier. Cela ma permis, en étant au cœur des Buers, de comprendre les avis des habitants, les arguments quils plaidaient et auxquels je naurais pas pensé de prime abord. Jai pu me rendre compte à quel point, entre une volonté politique ou de praticiens de projet urbain sur plan et la réalité des habitants, il pouvait y avoir un fossé. De la théorie à la pratique, je me suis rendue compte de la différence des réalités vécues.

Marie pauget photo lors d un debat organise a l occasion des legislatives 2017

Une photo prise durant le débat politique que l'ACBCL avait organisé avant les élections législatives, en présence des représentants des principaux partis politiques

Je me souviens de cette agence en aménagement extérieur et paysage qui proposait des idées et des configurations très astucieuses et intelligemment faites, mais qui – du moins au début - navait pas reçu l’assentiment des habitants, car cela ne répondait pas à leur besoin. C’était tout l’intérêt de la phase de concertation avec le bailleur, la ville, la métropole et les arbitrages, entre vision et possibilité de la puissance publique et volonté et besoin de la population.

J’ai passé 9 mois chez les Compagnons Bâtisseurs Hauts-de-France, une association actrice de l’auto-réhabilitation accompagnée dans la région, mais aussi présente dans toute la France.

Mon quotidien était très varié. Ma mission principale était d’intervenir dans les quartiers sur les chantiers de rénovation de l’habitat mais j’ai également eu l’opportunité de participer à divers projets et d’être en totale autonomie pour les réaliser.

Être sur les chantiers, au cœur de l’action, était vraiment pour moi très motivant. Nous travaillions avec les personnes dans le but de leur redonner des motivations à la fois pour rénover leur logement mais aussi pour qu’elles se sentent mieux chez elles, qu’elles puissent sortir de la solitude, retrouver le chemin vers la recherche d’un emploi…

Sur ces chantiers, j’ai aussi appris à transmettre des savoirs-faire acquis en école d'architecture.

En parallèle des chantiers, nous avions monté un atelier de quartier, dans lequel il y avait des cours de bricolage et une « outil-thèque ». Le but était de créer un lieu d’échange pour les habitants afin qu’ils puissent s’y retrouver au travers d’ateliers et ainsi redonner vie au quartier. Pour le montage de cet atelier j’ai eu l’opportunité de participer aux différentes étapes, de rencontrer des acteurs pluriels (bailleurs sociaux, mairie, centre sociaux, partenaire privés …) et de créer des supports de communications avec la définition d’une charte graphique pour les Hauts-de-France.

Une telle expérience est également faite de rencontres. Quelles ont été les tiennes ? 

Etant dans une association en bas d'immeuble, j'ai pu rencontrer beaucoup d'habitants du quartier, au bout de 8 mois je connaissais pas mal de monde. 

J'ai pu rencontrer d'autres associations installées dans le grand Mirail, des personnes travaillant à Toulouse Habitat, j'ai croisé un ou deux élus ainsi que le Maire du Mirail.

Mais dans l'ensemble j'ai plutôt rencontré des habitants du quartier et je les ai côtoyés au quotidien, principalement des femmes et des enfants ou sinon des commerçants que je voyais tous les jours.

 

 

Tout dabord, jai pu faire la connaissance de Farid, linfatigable président de lassociation quil a créé il y a 25 ans. Cest une personne très courageuse, très inspirante et pleine de belles valeurs. Il lutte sans relâche pour faire avancer cette association qui a une réelle utilité dans le quartier.

J'ai pu travailler avec des intervenants, que cela soit sur les sorties, les ateliers et plus quotidiennement sur les temps de soutien scolaire.

Marie Pauget _ Service Civique _ Photo prise lors d'un temps de jeu

Moment de jeux avec les jeunes sur le terrain de sport, un samedi après-midi

Mes interlocuteurs étaient étudiants, professeurs, ingénieurs, universitaires et habitants du quartier. Cela a été très enrichissant de collaborer avec eux. Surtout, c’était un message fort envoyé aux jeunes : ne pas se laisser décourager par les difficultés quotidiennes et croire en son projet professionnel !

Enfin, jai vécu des rencontres fortes avec les familles du quartier. Cela a été une vraie confiance à construire, tant pour elles que pour moi. Les messages que j’ai reçus à la fin de mon service civique mont énormément touchée et il m'arrive encore de les relire quand jai besoin de me remotiver. J’ai même gardé le contact avec certaines personnes et cest un plaisir de les saluer et de prendre de leurs nouvelles en les croisant dans la rue. Elles mont appris ce que c'était que la négociation et la pugnacité et je les remercie davoir été patientes avec moi au début, quand jarrivais avec mes méthodes toutes faites et mes habitudes.

Participer, travailler pour des projets au sein d’une association est vraiment motivant car l’implication de chacun, salariés, volontaires et bénévoles est forte et libre en quelque sorte. La mission de chacun ne se limite pas à ses propres objectifs mais à un projet global auquel tout le monde contribue. Chacun est force de propositions.

A ce titre les services civiques peuvent exprimer leurs idées et les développer par des petites missions. Aussi, chez les compagnons bâtisseurs nous avions tous des parcours très différents, cette diversité donnait de la richesse aux projets et nous permettait de nous enrichir les uns les autres. J’ai beaucoup apprécié cette dynamique de travail en équipe.

Sur les chantiers, l’ambiance était souvent au rendez-vous mais parfois dans des situations difficiles le soutien de l’animateur technique avec qui je passais mes journées était particulièrement génial. Il m’a appris beaucoup sur les techniques de second œuvre et savait mettre une bonne ambiance avec les habitants.

Enfin, avec les habitants, nous avons souvent passé des moments géniaux sur le chantier, la bonne humeur, la musique, les rires, les repas partagés et les échanges culturels avec les personnes étaient forts.

Les souvenirs que je garde de cette expérience sont la rencontre et le partage avec des personnes venant de tous horizons et la richesse qui naît de cette diversité.

 

A la lumière de ton expérience en service civique, quelles sont, à ton avis,  les opportunités qui s'offrent à toi ?

En quoi ce service civique, t'a-t-il aidée, en tant que jeune professionnelle, à te projeter dans ton avenir ?

Une très bonne expérience pour apprendre le travail en équipe, l'écoute de l'autre et la discussion pour un travail en commun. Un service civique permet de s'investir et de prendre du recul par rapport à nos vies. Aider l'autre c'est finalement s'aider soi-même en quelque sorte. 

Suite à cette expérience j'ai su que je voulais me remettre à l'architecture, que j'aimais travailler sur le statut des quartiers, comment réussir à rendre les tensions et les inégalités moins présentes, comment faire pour que leur quotidien soit plus agréable, que se soit dans les logements ou les parties communes.

J'aimerais beaucoup me spécialiser dans le logement social et travailler à une échelle plus urbaine. Pour l'instant c'est ce que j'imagine pour plus tard, mais au moins cette expérience m'a remotivée pour trouver un travail et je suis dans une agence d'architecture depuis quelques mois et on verra pour la suite.

 

J’étais, avant cette expérience, encore un peu en train de me chercher. Je ne savais pas trop comment je voulais pratiquer l’urbanisme. J’ai même pensé un temps me mettre à mon compte, en massociant à un collègue et ami urbaniste.

Il est important de se questionner sur le pourquoi. Pourquoi je fais de lurbanisme, quest-ce que jattends de cette pratique ? Comment je veux le faire, dans quel contexte et avec qui ? Cest important d’être sûre de soi et de mettre du sens sur ces questions-là, pour assurer derrière les difficultés de linexpérience, ladaptation à l’inconnu, la prise de risque, l'endurance professionnelle, etc. Après presque 2 ans de stages en Ministère, en Collectivité et en Établissement public industriel et commercial, cela ma permis daller au bout de ma curiosité et de me rassurer quant à mon envie de travailler pour le public.

J’ai valorisé ma mission de service civique auprès de lInstitut de lEngagement à Paris, présidé par Martin Hirsch. Jai eu la chance d’être lauréate en 2017 et de bénéficier de lappui de linstitut qui me soutient dans mon projet professionnel, avec une chargée d’accompagnement qui est là pour me faciliter la vie et un parrain qui a un rôle de mentor. Le but, cest de navoir aucune question sans réponse et aucune démarche qui naboutit pas pour des questions matérielles, de moyen ou de réseaux.

D’ailleurs, jinvite toutes les personnes en service civique ou qui projettent den faire un, de monter un dossier et de postuler. On peut candidater via le site de l'Institut de l'Engagement quatre fois par an. Le rôle de cet institut, cest de repérer parmi des milliers de volontaires ceux qui présentent un projet ambitieux, innovant et davenir. Que ce soit un projet de formation, dinsertion professionnelle ou de création dactivités, linstitut accompagne et soutient en partageant son immense carnet dadresses.

Depuis septembre 2017, je prépare à l’Institut Régional dadministration (IRA) de Lyon, au sein de la classe préparatoire intégrée, le concours dattaché(e) d’administration de l’État, un pari où je m’éloigne un peu de l’urbanisme, mais en contrepartie, je me rapproche des politiques publiques, des citoyens et du territoire.

Cela m’a aidée à mieux définir les projets dans lesquels je souhaiterais m’investir professionnellement. J’aimerais travailler sur des projets au travers desquels la problématique sociale et environnementale serait importante. Des projets où les usagers sont au cœur du questionnement voire sont les moteurs eux mêmes du projet. Je pense notamment au logement participatif.

Dans la continuité de mon service civique et pour mon futur parcours professionnel je souhaiterais pouvoir travailler en synergie avec différents acteurs qui ne sont pas nécessairement du domaine du bâtiment mais aussi social et cela, au travers de projets à des échelles diverses et posant des problématiques variées touchant à l’urbanisme, au paysage, à l’aménagement, l’environnement, à la création d’action ponctuelle ou pérenne…

 

Récemment j’ai eu l’opportunité de collaborer pendant plusieurs mois aux projets de TECHO au Chili, une fondation qui construit des logements définitifs pour combattre le logement indigne des bidonvilles. J’ai pu mettre à profit mes compétences en architecture pour soutenir un architecte dans la réalisation des projets.

 

Cette deuxième expérience m’a vraiment touchée et m'a donné envie de participer à des projets sociaux visant à offrir ou améliorer les conditions de vie dans l’habitat au travers du métier d’architecte. Actuellement, je suis en recherche active d’opportunités dans le monde de l’architecture en France ou à l’étranger.

 


 

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