#Service Civique #3 | Des urbanistes ayant investi l'espace public

Par Le 10/04/2018

Une jeune, toute jeune expérience au service de l'intérêt général, de la ville, des habitants, de l'évolution des politiques, des pratiques... Tant dans leur lien au territoire, qu'au tissu associatif, les services civiques prennent des initiatives au quotidien pour l'intérêt général. Dix urbanistes, architectes, géographes et pros de l'environnement ont plongé, ou replongé dans leur expérience de service civique.

Et si on partait à l'assault de la ville, et si on investissait l'espace public pour ce 3è numéro de nos interviews ?

Trois témoignages de professionnels vous attendent dans ce 3è volet de nos interviews d'urbanistes passés par un service civique. Rachel Frétigné, ingénieure investie pour une balade européenne et artistique à Strasbourg, Zélia Bobillier, diplômée de sciences politiques investie sur les places parisiennes pour le collectif ETC, & Clémence Letulle, géographe travaillant sur les espaces publics de la Ville d'Avignon, créent la surprise à travers leurs témoignages.

Rachel Frétigné #ServiceCivique

Rachel Frétigné

Ingénieure en aménagement du territoire et environnement, en service civique pour l'association Apollonia à Strasbourg

(association valorisant le développement des échanges artistiques européens)

Zelia Bobillier #ServiceCivique

Zélia Bobillier

Urbaniste diplômée de sciences politiques, en service civique pour le collectif ETC

 (collectif dédié à l'urbanisme temporaire, support d'expérimentations urbaines)

Clemence Letulle #ServiceCivique

Clémence Letulle

Géographe, en service civique à la Ville d'Avignon 

(section Aménagement des Espaces Publics)

A l'origine, qu'est-ce qui t'a amenée à te lancer dans un service civique ?

Je trouvais que le service civique pouvait être une bonne transition avant la vie active.

Le thème du service civique m'a intéressée car il était à la fois lié au territoire mais aussi au monde culturel et artisitque que je ne connaissais pas. C'est l'occasion de proposer, découvrir et prendre confiance pour la suite.

 

Diplômée de Sciences-Po et d'un Master en politiques et stratégies urbaines à l'automne 2016, je cherchais simplement une première expérience professionnelle.

Je n'avais pas spécialement envie de m'engager en service civique - que je considère être de l'emploi déguisé, précaire - mais c'est un passage de plus en plus obligé pour les jeunes diplômés.

 

Dans un contexte où il est toujours demandé sur le marché du travail de posséder une expérience de deux ans, couplé avec mon profil de géographe spécialisée en urbanisme, les premiers retours suite à des candidatures ont été infructueux. J’ai alors décidé de me lancer dans un service civique, pour gagner en expérience et pour épauler une collectivité ou une entreprise qui n’avait pas forcément les moyens de m’embaucher sur un contrat de niveau bac+5.

 

Au fil de tes recherches, comment en es-tu venue à te lancer dans ce service civique en particulier ?

Je voulais venir à Strasbourg et cela me permettait également de me faire un réseau professionnel sur place. C'était plus facile pour chercher du travail dans la ville et ses environs.

Strasbourg est un choix personnel. Je trouve la ville agréable à vivre. C'est également une belle opportunité par rapport à la proximité de l'Allemagne car j'envisageais d'y trouver un travail.

Si j'étais un peu réfractaire au premier abord, quand l'opportunité de travailler avec le collectif ETC s'est présentée, j'ai tout de suite foncé.

Le milieu des collectifs pluridisciplinaires, l'urbanisme transitoire et la thématique de l'espace public sont vraiment mes domaines de prédilection, domaine où les opportunités sont rares. De plus, j'avais déjà rencontré certains membres du collectif ETC quelques mois auparavant, lors d'un coup de main bénévole que j'avais donné sur un de leurs chantiers à l'écomusée d'Alsace, et je voulais vraiment travailler avec eux sur un projet à plus long terme.

J’avais déjà échangé avec la Ville d’Avignon lors de mes recherches de stage de Master en Géographie. J’ai repris contact avec le directeur du département Aménagement et Mobilité, en me renseignant sur la possibilité d’y faire un service civique. Celui-ci m’a tout de suite redirigée vers une cheffe de projet qui est aujourd’hui ma collègue : dans le service programmation de l’aménagement urbain de la Ville d’Avignon section aménagement des espaces publics. Étant géographe de formation, il est légèrement plus compliqué au premier abord de prétendre travailler sur de l’aménagement pur et dur de l’espace urbain, périurbain ou rural. Le service civique m’a permis d’y arriver.

Ton service civique, en quelques mots ou paragraphes ?

L'organisme est Apollonia, petite association située à côté des institutions européennes.

Espace Apollonia

L'Espace Apollonia, à Strasbourg

Le projet européen sur lequel je travaillais est une candidature pour monter un projet sur 4 ans. Cette année c'était la volonté de l'asso de développer un concept autour de l'idée d'une balade urbaine et artistique. Il a fallu que je creuse ce concept (imaginer comment artistes experts de la ville et citoyens peuvent travailler ensemble, penser à la dimension environnementale, de circuit court du projet, prendre le temps de redécouvrir son territoire, développer le concept de "slow city"). Ce service civique m'a amenée à chercher des partenaires européens pour permettre au projet d'aboutir. Il y a aussi eu des acteurs clés à trouver pour mettre sur pied les balades à Strasbourg (car chaque pays européen partenaire décline sa propre "balade").

A l'origine, je pensais être sur une mission à suivre un projet urbain mais je me suis retrouvée sur une toute autre mission. Elle restait néanmoins intéressante, j'ai dû monter un dossier de subvention pour la Commission Européenne et j'avais la charge de la communication avec les partenaires européens (venant de pays différents) et de la rédaction du projet/concept qui vise à intégrer davantage les artistes dans les projets urbains.

Donc il y a la dimension essentielle de creuser le concept tout en discutant avec les partenaires européens qu'il a fallu contacter avant, organiser un planning, discuter avec les partenaires pour ne pas faire le projet dans notre coin, concerter, nouer le dialogue, créer des partenariats et recouper les avis dans une version finale.

Suite à une grande concertation lancée en 2015, la Mairie de Paris a décidé de réaménager 7 grandes places (Bastille, Nation, Italie, Place des fêtes, Gambetta, Panthéon et Madeleine) pour réduire l'emprise de la voiture, valoriser les espaces piétons et travailler sur la végétalisation. Elle a lancé un appel à projets destiné aux collectifs pluridisciplinaires d'intervention urbaine, afin de préfigurer les usages possibles sur ces espaces de stationnement et de circulation devenus piétons, avec du mobilier temporaire et des ateliers ouverts à tou(te)s. Cette analyse fine de terrain vient enrichir le travail de la maîtrise d'ouvrage qui travaille sur le réaménagement "hard" des places (voiries, nivellement).

 

Le collectif ETC, au sein des MonumentalEs, un groupement plus large de paysagistes, sociologues du genre, bureaux d'études en développement durable... a remporté l'appel à projets pour les places du Panthéon et de la Madeleine. J'ai effectué une mission de permanence architecturale, depuis un container vitré disposé sur chacune des places. Durant 10 mois, nous étions présents avec mon binôme un jour par semaine sur chaque place, pour accueillir les usagers, porteurs de projets, recueillir leurs avis sur l'aménagement à venir et essayer de dessiner ensemble le futur du lieu. Beaucoup de médiation, de recueil de données (comptages, cartographie des usages existants), de préparation de chantier, de construction, d'organisation de manifestations culturelles...

 

La place du Panthéon, lors du chantier ouvert de Juin 2017. On y voit le chantier, l'aménagement terminé et une partie de l'événement mémoriel visant à célébrer la place des femmes dans l'espace public, et particulièrement face au monument des grands Hommes (qui ne compte que 4 femmes sur les 78 personnes panthéonisées).

 

Le Pantheon _ Zélia Bobillier #ServiceCivique

Pantheon juin 2017 Zélia Bobillier #ServiceCivique

Pantheon juin 2017 Zélia Bobillier_ #ServiceCivique

J’y étais dans un premier temps pour écouter et donner mon avis extérieur, puis au final gérer mes propres projets d’aménagement urbains.

J’ai pu développer ma capacité à exprimer les ambiances sur mes croquis, m’approprier des logiciels pour des projets concrets tout en gérant mon temps et ma charge de travail, échanger au quotidien avec mes collègues de différents milieux (paysagiste, dessinateur, urbaniste, attaché territorial, ingénieur...), solliciter des entreprises extérieures, et finalement comprendre le métier de cheffe de projet en aménagement urbain.

Plusieurs places d'Avignon, et certaines sur lesquelles je travaille...

Places Avignon Clémence LetullePlaces Avignon Clémence Letulle 2Places Avignon Clémence Letulle 3Places Avignon Clémence Letulle 4

 

Une telle expérience est également faite de rencontres. Quelles ont été les tiennes ? 

 La rencontre avec des artistes était une première pour moi car je n'étais pas familière de ce monde. Ma rencontre avec d'autres jeunes en service civique a aussi été intéressante.

Certains des partenaires européens étaient des villes mais cela pouvait également être des artistes avec leur collectif.

Lors du montage d'exposition en parallèle de mon projet, nous avons également été amenés à échanger avec les artistes sur leurs oeuvres (la thématique des 2 expos où j ai participé au montage avait un rapport avec la ville).

A titre d'illustration d'un des éléments phares de notre balade urbaine, voici une oeuvre "Moonolith" réalisée par un artiste slovène. Oeuvre qui représente les constellations et qui intéragit avec le public grâce à des détecteurs. 

Oeuvre interview rachel fretigne #ServiceCivique

C'était incroyable de pouvoir travailler sur des places de Paris aussi symboliques, aussi grandioses !

Et d'être au premier rang pour observer les décalages entre un projet urbain tel qu'il est pensé et communiqué et la réalité du terrain. Nous avons travaillé avec les différents services de la ville (jardiniers, ingénieurs, menuisiers, agents de propreté, centre de recyclage des matériaux élus...) qui ne se croisent que rarement, et dont le travail n'est pas vraiment mis en lumière, c'était l'occasion de croiser les savoirs-faire incroyables des agents de la ville.

C'est également très formateur de voir que la faisabilité d'un projet et l'adhésion des habitants ne tiennent parfois qu'à un désaccord politique entre la mairie centrale et la mairie d'arrondissement... 

Chantier parvis nord, place de la Madeleine (Novembre 2017), où l'on a réalisé des modules d'assises circulaires, qui reprennent la trame des colonnes de l'église. 

Madeleine1 Zélia Bobillier #ServiceCivique

Madeleine2 nov2017 _Zélia Bobillier #ServiceCivique

 

J'ai eu la chance de travailler avec des personnes formidables au quotidien : Lucas, mon binôme, architecte de formation (nous nous complétions bien), Caroline, César et toute l'équipe de la paysagiste Emma Blanc, Eloïse et l'équipe de Genre et Ville, le collectif ETC et les usagers des places qui ont cru en notre projet!

Également avec des designers et intervenants invités dans le cadre des manifestations culturelles ou chantiers ouverts que nous avons organisés.

Les vitraux urbains colorés, intégrés Place de la Madeleine, sont des prototypes de rideaux "abat-son" réalisés avec les designeurs Matéo Garcia et Clémentine Pèllegrin, ainsi qu'un ingénieur du son. 

Madeleine3 nov2017 Zélia Bobillier #ServiceCivique

J’ai eu la chance de rencontrer des personnes investies, passionnées qui ne comptent pas leurs heures.

Des personnes comme moi qui n’avaient pas forcément la formation parfaite pour le poste parfait, mais qui au final par leur capacité d’adaptation et leur passion, ont trouvé leur poste idéal. En résumé, nous sommes une direction unie par le même devoir commun, la motivation de rendre une ville meilleure avec tous ses potentiels !

Quelques croquis réalisés au sein de notre service

Dessin de place Avignon Clémence LetulleDessin de place Avignon Clémence Letulle 2Dessin de place Avignon Clémence Letulle 3Dessin de place Avignon Clémence Letulle 4

 

A la lumière de ton expérience en service civique, quelles sont, à ton avis,  les opportunités qui s'offrent à toi

En quoi ce service civique, t'a-t-il aidée, en tant que jeune professionnelle, à te projeter dans ton avenir ?

Le champs de l'urbanisme est très vaste. Je suis toujours ouverte à travailler sur de nouveaux sujets. C'est plus valorisant de faire une expérience de service civique lorsque l'on recherche un travail. J'ai pu prendre confiance et prendre des initiatives que je n'aurais peut être pas osées sur un premier job.

 

Je considère ce service civique comme une première expérience professionnelle, plus qu'autre chose. J'ai réalisé que je veux travailler en équipe, avec des expériences de terrain mais tout en prenant un peu plus de hauteur pour analyser de manière plus générale les processus de la fabrique de la ville.

En ayant cette connaissance là, je souhaiterais travailler plus en amont sur la définition des règles et utilisations par les pouvoirs publics ou privés de la notion d'urbanisme "tactique" ou "transitoire", qui est parfois perçue uniquement à travers son prisme économique.

La décision du gouvernement de supprimer les contrats aidés rend désormais beaucoup plus difficile pour des associations d'embaucher leurs services civiques, mais j'ai la chance de pouvoir bénéficier du réseau incroyable du collectif ETC pour trouver d'autres opportunités professionnelles! 

La meilleure des options que j’avais envisagée débouche de cette expérience de service civique, car j’ai été embauchée par la suite dans le même service, pour continuer à faire ce qu’il me plaît dans ce métier.

Mon service civique est né d'une prise de conscience de ma directrice, qui pensait que le service civique permettait aux jeunes d’être tout de même payés le smic, alors qu'il donne droit à une indemnisation d'ordre inférieur. A ce titre, cette expérience m'a servi de première marche vers l'entame de ma carrière. Si j’avais un point d’alerte à faire sur le service civique, cela serait alors le manque de communication sur la nature d’un service civique, et surtout le manque d’explication lors de l’accueil d’un jeune volontaire, de son statut et de ses droits et devoirs. Ce qui est évident ne l’est encore une fois, pas pour tous. Il est parfois bon de préciser soi-même la nature de son statut lors de notre arrivée dans un établissement professionnel !

Pour finir, je souhaite une très bonne expérience aux futurs jeunes volontaires. C’est une démarche qui me paraît précieuse dans l’aide à l’entrée dans la vie professionnelle pour les jeunes diplômés. La meilleure façon de le faire persister, est d’adhérer !

 


 

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