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Jeune & Pro #2 / Sarah Adjem / Lena Cloarec

Par Le 15/06/2016

Jeunes et pros 1

Entre l'image donnée d'un métier lors de ses études et ses stages, & le réel tantôt mieux, tantôt désillusionné, d'une expérience de travail qu'ils s'approprient au jour le jour, il y a parfois un monde.

Un monde, fait de décalages – éventuels, mais pas vrais pour tout le monde – qu'explorent pour nous 11 (jeunes) professionnels, qui évoqueront, dans une série d'articles tout au long de l'année 2016 sur le blog de notre plateforme, leur toute relative mais émergente expérience.

De quoi découvrir les impressions et les idées de jeunes urbanistes, d'architectes, de géograpghes-cartographes et professionnels de l'environnement sur leur métier et leur expertise acquise au gré d'une à sept années d'expérience. Sarah Adjem est architecte-programmiste et jeune co-gérante de l'entreprise Utiliti à Lille. Lena Cloarec, touche aussi du doigt la programmation pour l'Île de Nantes. Elles nous parlent de leurs expériences 

 

Trombine sadj

Sarah Adjem

architecte-urbaniste, programmiste

co-gérante d'Utiliti (Lille)

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Lena Cloarec 

chargée de mission à la SAMOA,

soc. d'aménagement de l'Île de Nantes

Avec cette interview, tout commence par un retour en arrière. Quelle était l'image que tu te faisais du métier d'urbaniste, au cours de tes études ? Et le réel de ton métier aujourd'hui ?

En abordant mes études, après un BAC S option arts-plastiques, j’avais l’image d’un métier à la fois créatif et concret, moins « risqué » à la sortie qu’une filière artistique type école des beaux-arts, inscrite au top 3 de ma liste de vœux d’orientation.

Durant mes études, c’est la dimension sociale et culturelle, l’émulation permanente que j’avais du métier, son odeur de colle, son goût de carton-plume et son dress code amincissant qui m’ont motivé. J’ai aussi pu mesurer l’importance que revêt notre capacité à bien savoir communiquer, convaincre, traduire spatialement et dans le verbe, nos idées. A l’école et pas seulement, l’architecte doit être un bon orateur.

A la sortie de l’ENSAP de Lille en 2007, loin de l’atelier et de ses maquettes, surprise : je ne sais rien et ce n’est pas faute d’avoir oublié de faire charrette. Je découvre. Le fonctionnement des agences, la réalité réglementaire (PLU, code des marchés publics,…), le cadre d’un concours, les échanges avec les autres bureaux d’études, les clients, les entreprises, le chantier, les responsabilités et notre niveau de vie….

Aujourd’hui programmiste en architecture et en urbanisme, je suis dans ce qu’on pourrait appeler un métier de niche. Je ne me faisais pas d’idées sur ce métier dont j’ignorais l’existence et que j’ai découvert lors de ma première expérience professionnelle.

La première image que je me faisais de l’urbaniste, au lycée, était celle de l’architecte-urbaniste en réalité, plutôt urban design et maîtrise d’œuvre. Par la suite, à l’institut de géoarchitecture l’image de l’urbaniste s’est complexifiée pour devenir maître d’ouvrage-programmiste-aménageur-planificateur-etc. Néanmoins, je n’avais pas saisi la réalité de cloisonnement entre les métiers de l’urbanisme.

Dans le réel de mon métier, à la SAMOA, je suis maître d’ouvrage, garante de la bonne utilisation du denier public dans le but d’aménager l’île de Nantes. Bien sur, la SAMOA dispose d’un avantage certain dans la composition de son équipe, « des chefs de projets », ce qui laisse une place à la souplesse. Mais la stratégie métropolitaine par exemple, ne fait pas partie de mon quotidien.

Du coup, y a-t-il un lien entre ton parcours de formation et ton métier ? Ta formation te sert-elle aujourd'hui dans l'exercice et l'acquisition progressive de tes missions ? Que penses-tu apporter de par ta formation, au sein de ton entreprise ?

Oui, mon parcours de formation m’a ouvert une porte parmi de nombreuses autres (architecte urbaniste, scénographe, responsable des services techniques d’une ville, spécialiste de la concertation,…)

Ma formation m’a permis d’aiguiser ma curiosité et mon sens de l’observation, d’acquérir des capacités d’analyse et de synthèse, de représentation spatiale, toutes nécessaires à la réalisation des missions qui me sont aujourd’hui confiées.

Ma formation d’architecte m’apporte le sens du questionnement et de la remise en cause. La capacité à tester avant de proposer des réponses. Une sensibilité à l’architecture et la ville.

A première vue mon parcours technique (IUT Génie Civil) n’est pas si évident que ça, en particulier en maîtrise d’ouvrage. Pourtant c’est la combinaison de mon IUT Génie Civil et de mon Master d’urbanisme qui m’a permis d’obtenir mon stage de fin d’études, qui s’est transformé en CDD.

Ma formation hybride technique-urbanisme est en corrélation avec le métier que j’exerce aujourd’hui. Mes compétences techniques acquises en IUT me permettent de comprendre mes prestataires, de dialoguer avec eux, d’anticiper les informations dont ils pourraient avoir besoin, etc. Ma compétence urbanistique me permet par ailleurs de comprendre le projet urbain de l’île de Nantes tant du point de vue architectural et paysager, que du point de vue technique (socle juridique, code des marchés, etc.). Pouvoir faire le lien entre le projet pensé par les concepteurs et la réalité technique des opérations, comprendre les deux parties pour faire avancer les choses.

La définition de l’aménageur par Laurent Théry, ancien directeur de la SAMOA, résume parfaitement ma position :

« Le rôle de l’aménageur consiste à garantir une cohérence entre les idées et les réalisations. Il assemble les compétences et met en mouvement un territoire, en veillant à ce que les oppositions habituelles entre logiques sectorielles ne déshabillent pas le projet, ou ne le retardent indéfiniment, comme c’est souvent le cas. L’aménageur assure la gestion des temporalités, en intégrant les exigences des multiples acteurs qui participent à la réalisation du projet, en traitant les urgences autant que le temps long de la ville. Cette mise en mouvement concrète de la transformation de la ville est le socle du métier de l’aménageur. Il s’agit bien de faire, de fabriquer, de réaliser. ».

Quel est le quotidien de ton travail... et des imprévus qui vont avec ? Tu peux nous parler un peu des missions que tu es amené à effectuer ? Des obstacles principaux que tu as été amené à franchir de par l'exercice de ton métier ? 

Mon quotidien professionnel se partage entre la réponse à des appels d’offres (pour la constitution d’équipes pluridisciplinaires, de mémoires techniques, de devis…), la gestion de l’entreprise, la réalisation et le pilotage d’études préalables et opérationnelles. Il y a également le rythme des réunions avec les maîtres d’ouvrages, les réunions publiques, les entretiens avec les utilisateurs, les visites de site, les rendus.

Au stade des études préalables, c’est à nous, en tant que conseiller des maîtres d’ouvrages, de lever et d’anticiper le maximum d’imprévus (techniques, financiers, de planning, …). Parmi les obstacles, on peut noter l'absence de subventions, des difficultés de négociation (foncier, usagers…), le changement de municipalité, l’imbrication avec d’autres projets retardés (desserte tram-train, etc), l’absence de consensus, peuvent remettre en cause une opération.

Mes missions sont diversifiées. J’ai commencé par réaliser des études de faisabilité, puis de programmation architecturale. J’ai ensuite développé mes compétences dans l’analyse des candidatures et des offres des concepteurs dans le cadre de concours d’architecture. Mes expériences sur des projets à grande échelle, à l’école, en stage et dans ma vie active, m’ont donné envie de me former à la programmation urbaine.

Programmiste généraliste, j’ai traité au sein d’équipes pluridisciplinaires des sujets très différents à toutes les échelles : régénération des cités minières, projet d’extension urbaine, schéma directeur immobilier, conception de smart building, réorganisation de bâtiments existants, constructions neuves…dans des domaines diversifiés, culture, enseignement, médico-social, tertiaire, pénitentiaire, sportif…

Mon quotidien c’est l’opérationnel. Pour mener à bien le projet de l’île de Nantes pensé par la maîtrise d’œuvre urbaine (Marcel SMET et UapS) : je rédige et analyse consultations, je choisis des maîtres d’œuvre, des entreprises, des AMO, je sollicite les concessionnaires, propriétaires, voisins, et tous les acteurs devant être informés ou impliqués dans le projet, etc. Dans cette position on est aux premières lignes pour mettre en place les dispositifs innovants, environnementaux ou sociaux qui caractérisent ce projet urbain. Le but étant de créer une méthodologie sur-mesure pour l’opération, tant en terme d’encadrement de marché qu’en terme de méthode de travail, de rendus, etc.

Pourtant, pour mettre en place des pratiques innovantes, il faut parfois se battre contre une habitude en place, un vide politique ou juridique, un budget, etc. Alors ce sont des processus longs, il faut justifier, rassurer, étudier et réétudier chaque proposition pour qu’elle soit acceptée. Avec parfois des déceptions.

  • En quoi la pratique (les pratiques) de ton métier a (ont) fait évoluer ta perception du métier d'urbaniste, et tes compétences en tant que tel ?

Bien conseiller ne signifie et ne nécessite pas de tout savoir. Je suis devenue moins boulimique avec le temps. L’important est de se poser collectivement les bonnes questions au bon moment et de se doter des bons outils pour y répondre.

Nous travaillons très souvent en équipe et sommes en formation et en veille active permanente. Il faut comprendre le langage de chacun (paysagiste, urbaniste, ingénieur HQE, thermicien, utilisateur, habitant…) pour assurer la cohérence des études, sans craindre de ne pas être à la hauteur des connaissances de tous, comme le chef d’orchestre d’un chantier. Vulgariser nos savoirs fait partie de notre travail collectif pour réussir à partager de l’information et devenir de véritables partenaires pour nos clients. 

Programmer un bâtiment, un quartier ou le cadre de leur évolution est intimement lié à une réflexion sur la société que l'on construit.

Quelques photos illustrant différentes situations rencontrées : dans l'ordre, photos du week end "Troisième Révolution Industrielle" au Quartier de l'Escalette à Mouvaux & photos de la Cité 12-14 à Lens avant rénovation

We troisieme revolution industrielle quartier de l escalette mouvaux

Cite 12 14 lens

Travailler sur le projet urbain de l’île de Nantes c’est aussi apprendre et adhérer à la fabrique de la ville que les équipes de la SAMOA développent depuis 15 ans.

Retrouver la Loire, accepter l’héritage, commencer par les espaces publics (et respecter une certaine frugalité dans leur conception).

C’est aussi comprendre la méthode de travail développée en lien avec les promoteurs et les bailleurs. Toute cette méthode de fabrique de la ville est complexe, elle joue avec les règles et se réinvente tous les jours pour l’intérêt public. C’est un grand enseignement que j’en retire.

L'Ile de Nantes sur sa pointe ouest & photos de PlayTime et de la Prairie aux Ducs, illustrant quelques uns de nos lieux d'intervention

Ile de nantes pointe ouest

Playtime

Prairie aux ducs ile de nantes

Retour vers le futur. Comment envisages-tu ton avenir professionnel ? Quel bilan et quelles perspectives retires-tu de ta toute relative expérience ? Ta vision a-t-elle évolué ou retour à l'idée de départ ?

J’espère continuer à nouer des partenariats intéressants pour questionner l’évolution des modes de vie, la ville de demain et réfléchir aux conditions du bien vivre ensemble, dans l’espace public, un quartier, un bâtiment….

Ma toute relative expérience me confirme que sans désir, rigueur, investissement et curiosité, il n’y a pas de pérennité dans le métier ; et qu’avec, rien n’est joué non plus. L’accès à la commande publique est d’autant plus complexe que le contexte économique est très concurrentiel.

Je ne suis pas désenchantée. J’aime mon métier, même si la créativité y tient une place moins importante que celle que j’aurais voulu lui donner dans ma vie professionnelle. Un champ à ré-explorer.

CHANGER ! Et pas parce que je n’aime pas ce que j’ai pu réaliser ici, mais parce que j’ai compris que mon choix s’est porté sur l’urbanisme pour la diversité de missions, d’opérations et d’échelles accessibles : faire de la planification, de la programmation, de l’urban design, de la recherche, de l’opérationnel… ce qui se présentera à moi sera forcément intéressant.


 

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Lena Cloarec | SAMOA Île de Nantes

Lena Cloarec sur Linkedin

SAMOA, Société d'Aménagement de la Métropole Ouest Atlantique

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